RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
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Goma : la guerre sur fond de rumeurs
A l'est du Congo, la population a confiance en son armée pour lutter contre les rebelles du M23, mais pas dans l'ONU. Dans une région où il y a peu d'information, la "radio des rumeurs" fonctionne en continu. Et alimente un peu plus cette guerre sans fin.
THINK AFRICA PRESS | JOSEPH KAY
24 JUILLET 2013| 0
Un char de l'armée gouvernementale, stationné dans la banlieue est de Goma où les affrontements avec les rebelles du M23 ont été nombreux - AFP. 15 juillet 2013 Un char de l'armée gouvernementale, stationné dans la banlieue est de Goma où les affrontements avec les rebelles du M23 ont été nombreux - AFP. 15 juillet 2013
Le conflit qui oppose les rebelles du M23 et l'armée congolaise (FARDC) près de Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu, dans l'est du pays, s'est intensifié depuis le 14 juillet. La lutte se déroule sur deux champs de bataille : à l'arme lourde autour de Kanyaruchinya, une ville désertée par ses habitants, située à 14 km au nord de Goma ; et dans l'usine à rumeurs du Nord-Kivu. Le feu nourri des FARDC perturbe le M23, tandis que des critiques acérées et des attaques verbales s'en prennent à la Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO).
Le jeudi 18 juillet, des manifestations se sont déroulées à Goma contre la MONUSCO. La police a dû faire usage de gaz lacrymogènes et tirer en l'air à titre d'averstissement. Les ONG étrangères ont recommandé à leurs employés de ne pas sortir de chez eux, et le contingent pakistanais de la MONUSCO s'est préparé à multiplier ses patrouilles, voire à intervenir par la force.
Le colonel Mamadou Ndala, qui commande la campagne des FARDC, avait défilé en héros dans les rues de Goma le matin même. Les passants et les motards (chauffeurs de moto-taxi) avaient escorté sa Land Cruiser camouflée et équipée d'une mitrailleuse dans tout le centre-ville. Le colonel avait inspecté un camion qu'on chargeait de carburant pour les troupes du front et visité le poste de commandement du 802e régiment d'infanterie de Goma.
Quatre jours après la reprise des combats, au cours desquels plus de 100 rebelles auraient été tués, le colonel Ndala est manifestement adoré par les habitants de Goma. Amical, arborant un sourire radieux, c'est un personnage aimable et que l'imagination populaire de cette ville couverte de lave [le volcan Nyiragongo qui surplombe la ville est l'un des plus actifs au monde et a recouvert a deux reprises la ville] a pratiquement élevé au rang de saint. Une femme m'explique pourquoi il est si populaire à force de gestes menaçants : le colonel est l'homme qui va trancher la gorge au M23.
Le soutien dont jouit le colonel Ndala n'a d'égal que l'hostilité que suscite la MONUSCO dans la population. Cela m'apparaît on ne peut plus clairement alors que je suis le colonel à travers la ville pour obtenir une interview. Devant un hôpital, une femme de soldat me jette une pierre qui me touche à la jambe. Puis mes oreilles sont assaillies d'insultes en swahili et lingala, deux des quatre langues nationales de la RDC. Mon chauffeur et moi expliquons à une foule menaçante de femmes et d'enfants, lui en swahili et moi en mauvais lingala, que je ne fais pas partie de la MONUSCO. Finalement, la femme qui m'a lancé la pierre me fait un sourire d'excuse et la haine laisse la place au désir de m'aider à faire mon travail.
Alors que nous quittons la ville et suivons le colonel Mamadou sur la route de l'aéroport, nous apprenons la grande rumeur du jour : le colonel aurait été appelé à Kinshasa et serait affecté dans une autre province.
Les rumeurs vont bon train en RDC. En 2010, les shégués (enfants des rues) de Kinshasa s'étaient moqués de mon smartphone et m'avaient expliqué que le radiotrottoir était "plus rapide que l'Internet". A Goma, des adolescents tout excités racontaient des rumeurs à la Elvis sur la mort de Michael Jackson : la CIA était dans le coup et le roi de la pop vivait en fait à Lubumbashi [capitale de l'Etat du Katanga, situé à l'extrême sud du pays] et s'apprêtait à sortir un nouveau single. Les rumeurs récentes ont toutefois des implications plus sérieuses.
La rumeur du départ du colonel pour Kinshasa s'est répandue et les cris "N'y va pas !" et "Il n'ira pas !" fusent au milieu des nuages de poussière que soulèvent la Land Cruiser et son escorte, qui foncent sur la route inachevée qui mène à l'aéroport... et le dépassent. Il est facile de prouver qu'une rumeur est sans fondement. Mamadou ne partait pas pour Kinshasa, et les choses auraient dû s'arrêter là.
Sauf qu'il n'en est rien. L'idée même que le gouvernement central puisse empêcher Mamadou et les FARDC d'obtenir la victoire suffit à entretenir la colère. Une banderole proclame ainsi : "Mamadou reste et Kabila [président de la RDC] part. RIP Kabila." Alors qu'il franchit les barrages de police pour foncer vers la ligne de front, les motards ne peuvent plus suivre le colonel, mais la foule continue à scander des slogans et les événements tournent à la manifestation.
Un jeune homme nous déclare : "Si le colonel Mamadou s'en va, nous attaquerons tous les bâtiments de la MONUSCO." Un autre souligne que leur homme pourrait vaincre le M23, mais que la MONUSCO l'en empêche.